Morceaux choisis de l’exposition Le Temps des Collections, du 22 novembre 2013 au 19 mai 2014 au Musée des Beaux-Arts de Rouen, les Putman, les Duchamp, Gadenne, Morellet et la mort d’Emma, Bovary, bien sûr!
L’hommage à Andrée Putman, architecte d’intérieur, et son mobilier, dont le célèbre Banc Girafe. Différents éléments du MBA sont issus de sa restructuration au début des années 1990 par l’atelier Putman, dont le mobilier de salle, pliants, bancs et vitrines, le principe de damier à travers les bordures géométriques noires et blanches du Jardin des Sculptures, le système d’éclairage des cimaises permettant une lumière indirecte dirigée vers le plafond, et le grand luminaire de l’escalier d’honneur.
Le parcours sur la moquette en noir et blanc, damier ou pavé mosaïque revisité, d’Olivia Putman, fille d’Andrée, et scénographe du Temps des collections, qui explique : « … le travail du scénographe consiste à proposer un écrin qui valorise les œuvres exposées et qui ne s’impose pas comme un second objet à admirer. Telle une enluminure qui magnifie une œuvre sans pour autant lui voler la vedette, la scénographie ne doit pas modifier l’essence et la perception de l’œuvre. Au fur et à mesure de la progression du visiteur dans les pièces du musée, le damier noir et blanc se transforme et forme un parcours ludique en créant une nouvelle atmosphère dans chaque salle. Par la discrétion de son graphisme, cette scénographie permet une nouvelle lecture des œuvres exposées.»
Les salles de la famille Duchamp. Un casse-tête, un mouvement, une grande famille d’artistes.
Après le grand-père, Émile Nicolle (1830-1894), graveur et peintre, Gaston Duchamp, dit Jacques Villon (1875-1963), peintre et graveur, d’abord attiré par le cubisme, puis par le futurisme et les formes en mouvement. Avec son frère Raymond, ils donnent ensemble
naissance au cercle des « dimanches à Puteaux », à l’origine du cercle de la Section d’or, où prennent place de nombreuses figures de l’avant-garde, tels Apollinaire, Pierre Dumont, Henri le Fauconnier, Henri de la Fresnay, Walter Pach, Georges Ribemont-Dessaignes, Albert Gleizes, Jean Metzinger, Fernand Léger, Robert Delaunay… Et Raymond Duchamp, dit Duchamp-Villon (1876-1918), sculpteur incontournable de l’histoire de la sculpture moderne et cubiste. Avec ses contemporains Brancusi ou Modigliani, il partage un intérêt pour la simplification des formes, la recherche autour de la question du socle, la cariatide. Mais aussi Marcel Duchamp (1887-1968), dit Marchand du sel, dit Rrose Sélavy, dit Totor, « ingénieur du temps perdu ». Son œuvre s’impose comme une source incontestable des aspects multiformes et pluridisciplinaires que revêt l’art et qu’explorent les artistes à partir des années 1960. Et enfin Suzanne Duchamp (1889-1969), peintre et épouse de Jean Crotti (1878-1958), artiste dadaïste d’origine suisse.
Les Duchamp ont décliné le principe du mouvement dans leur travail et s’intéressent aux formes en mouvement, prémices de l’art cinétique et de sa traduction du mouvement. Marcel se disait « rotomane » et l’idée de rotation se retrouve dans des œuvres comme Moulin à café (1914), Broyeuse de chocolat n°1 (1913 ; n°2, 1914), Roue de bicyclette (1913), ou dans ses Rotoreliefs (1935) que le visiteur est engagé à faire tourner au MBA. Le MBA propose également plusieurs « boîtes-en-valise », où Marcel rassemble selon les éditions, de 68 à 80 reproductions de ses œuvres, et précise : «Tout ce que j’ai fait d’important tient dans une valise». Il invente le musée portatif, interroge l’unicité de l’œuvre d’art et exerce un contrôle sur son œuvre.
Bertrand Gadenne et ses tableaux en trompe l’œil revisités par la vidéo. L’artiste reprend les codes des vanités du XVIIème siècle, avec ses fruits et fleurs, quand le peigne ordonnait les cheveux et la plume les pensées, et les transpose dans son monde moderne. Il recherche les minuscules éléments comme les insectes, la mouche, le papillon, presque cachés à notre regard. Grâce au médium de la projection vidéo, il renverse cette grandeur et permet de devenir soi-même un insecte, de la taille d’une mouche ou d’un escargot. Être devenu lilliputien devant un fragment énorme de nature morte et assister à cette confrontation végétale et animale. Ainsi la grappe de raisin noir ou blanc tourne sur son axe et l’escargot explore sa pomme rouge, au gré de ses mouvements d’antennes et de ses rotations de coquille. Mais il n’a comme territoire que cette pomme et rien qu’elle, définie et circonscrite comme notre terre. L’animal est porteur de l’action temporelle, du changement inévitable vers le pourrissement de la matière végétale. De même, la présence récurrente des gouttes d’eau, qui apparaissent discrètement sur certaines fleurs ou certains fruits des vanités, sont de véritables flacons révélateurs d’image inversée. Le vidéaste est sensibilisé par l’apparition suggérée d’un monde, peut-être d’un monde à images. Les fragments d’eau sont rares dans chaque tableau. Présences fragiles et évanescentes, elles représentant un monde proche de l’évaporation et de sa disparition.
Emma Bovary, le célèbre roman de Flaubert, est ici illustré par le peintre rouennais Albert Fourié (1854-1937), dans sa toile La Mort de Madame Bovary (1883).
Flaubert achève son roman dans une descente tragique dont le point culminant est le suicide de son héroïne. Fourié part d’une photographie pour recréer l’atmosphère si particulière de cette peinture, le curé et le pharmacien endormis, la face brouillée, la belle Emma parée de sa robe de mariée, dans la lumière blafarde des bougies, ainsi que le désespoir de Charles qui se cache le visage en se retenant aux montants du lit. La lueur rouge de l’aube naissante se confond avec l’ocre des tomettes irrégulières du sol au premier plan. L’exposition montre également les différentes étapes de la création d’une illustration, depuis la photographie, le croquis d’imagination, le dessin d’après le modèle vivant, la mise en place de la composition et la mise en lumière avant gravure, ainsi que les différentes techniques.
Morellet défigure Delacroix.
François Morellet sollicite sans cesse la perception visuelle et cognitive du spectateur, en lui proposant d’oser relire l’œuvre des grands maîtres de l’histoire de l’art au travers de la sienne. Rembrandt, Delacroix ou Picasso se trouvent ainsi rapprochés par les «Défigurations». Il s’empare d’un tableau de maître dont l’image est projetée sur une toile blanche ou une cimaise. Sur chacune des têtes appartenant à la composition, une autre toile blanche est placée, plus petite, correspondant au format dit 30F, « 30 Figure », dont on se sert traditionnellement pour les portraits. La projection supprimée, une composition toute blanche pointe les zones de la toile où se focalisait l’attention. Le plus souvent, les visages rentrent exactement dans le format du «trente portrait». On aime, on comprend, on déteste, mais une défiguration ne laisse personne indifférent.